Chapitre 5
J’ouvris les yeux et me retrouvai en train de fixer le regard éblouissant du soleil. Aveuglée, je trébuchai et atterris sur les fesses. Un éclat de rire retentit de tous côtés et je me redressai si vite que ma vision se précisa brusquement. Je me trouvais devant une salle de spectacle bondée.
— Voilà ce qui arrive quand on traite avec les morts, dit une voix féminine. Certains d’entre eux sont vraiment trop rusés.
Je voulus lancer un regard noir à la personne qui venait de parler, mais ne vis que le dos d’une rouquine assise sur une scène centrale. Tandis qu’elle parlait, je compris que je me trouvais sur un plateau de télévision. La rousse, ainsi qu’une autre femme, étaient assises dans deux fauteuils confortables devant un décor censé évoquer un salon.
Je m’avançai sur la scène, mais tous les regards restaient braqués sur les deux femmes. Où que je puisse bien me trouver, j’étais toujours un fantôme. Je regardai plus attentivement la présentatrice et gémis mentalement. J’avais vu son émission un jour où j’étais clouée au lit par les nausées matinales, trop barbouillée pour changer de chaîne. J’avais oublié le thème exact, mais c’était le genre de conneries psychologiques sur le thème « toutes les vies ont un sens » que gobaient aveuglément les gens dont l’existence même démentait ce credo. Mais ce message à vous réchauffer le cœur m’avait bien aidée. Il me l’avait tellement réchauffé qu’il l’avait soulevé pour en vider le contenu dans la cuvette des toilettes et je m’étais sentie nettement mieux après.
Je m’approchai de la scène. Je pensais savoir qui était la rouquine et j’en eus confirmation au pas suivant. Elle avait quelques années de plus que moi mais n’en laissait rien paraître. Avec ses longues jambes, ses yeux verts et ses lèvres qu’on aurait crues piquées par des abeilles, Jaime Vegas était le genre de femme pour laquelle on avait inventé l’expression « rousse incendiaire ». Elle profitait de ce sex-appeal pour vendre ses médiocres talents de nécromancienne aux endeuillés. Certains y auraient vu une manière répréhensible de gagner sa vie. Moi, j’appelais ça de la survie.
— Plus sérieusement, déclara Jaime alors que le dernier éclat de rire général s’estompait. Mon boulot peut être vachement marrant, et j’adore cet aspect-là, mais ce que j’aime le plus, c’est ce que ça apporte dans la vie des gens : la paix, la possibilité de tourner la page.
La présentatrice hocha la tête.
— Et le but du spiritisme est là, non ? Guérir l’esprit. Pas celui des morts, mais celui des vivants.
Oh par pitié, passez-moi un sac que je puisse gerber. Le public conquis se contenta de répondre par un chœur de oui et d’amen, comme une armée de zombies devant une prêtresse vodoun.
— Je suis la seule à trouver ça franchement flippant ? dis-je.
Jaime bondit comme un chat ébouillanté. Lorsqu’elle se retourna, elle me vit et devint toute pâle. Je dirais bien qu’elle donnait l’impression d’avoir vu un fantôme, mais pour une nécromancienne, ça relève de la routine. On pourrait croire qu’elle s’y serait habituée, depuis le temps.
— Bien joué, lui dis-je. C’est presque fini ? Il faut que je vous parle.
— Jaime ? l’interpella la présentatrice en se penchant. Que se passe-t-il ? Vous avez vu quelque chose ?
— On dirait que vous avez un fantôme à demeure, répondit Jaime. En temps normal, je dois me concentrer pour les voir, mais parfois, ils font le forcing pour communiquer. Aussi impatients que des gosses. (Elle me jeta un regard furibond.) Des gosses très impolis.
— Impolie ? Vous êtes une nécro. Ne me dites quand même pas que vous sursautez chaque fois qu’un fantôme…
— Vous le voyez ? chuchota la présentatrice.
— Je la vois. C’est une femme. (Jaime marqua une pause pour appuyer ses effets.) Une sorcière.
Un murmure ébahi s’éleva de la foule.
— Pas une vraie sorcière, bien entendu, reprit Jaime dont la voix prit l’intonation douce et chantante d’une conteuse. Mais c’était ce qu’elle pensait. Elle se croyait toute puissante, mais elle ne l’était pas.
— Pardon ?
— Elle a vécu dans la violence et c’est ainsi qu’elle est morte. Et maintenant, c’est un esprit solitaire et tourmenté, prisonnier entre les mondes, en quête de rédemption.
Je ricanai.
— Et si ce n’est pas le cas… (Jaime me jeta un autre regard noir.)… c’est dommage, parce qu’elle a beaucoup à expier.
Je levai les yeux au ciel et quittai la scène.
Dans les coulisses, je préparai un deuxième plan d’attaque. Quand Jaime quitta la scène dix minutes plus tard, j’allai me placer près d’elle.
— D’accord, maintenant que vous avez vidé votre sac, on peut parler. De toute évidence, vous me connaissez.
Elle continua à marcher.
— Vous voulez qu’on se présente officiellement ? demandai-je. Très bien. Eve Levine, fantôme. Vous êtes Jaime Vegas, nécromancienne. Donc, j’aurais besoin que…
Elle avait tourné à un coin sans que je le remarque. Je dus faire marche arrière et courir pour la rattraper.
— Je sais que vous m’entendez, dis-je. Et que vous me voyez. Alors arrêtons les conneries et…
Elle entra dans une loge ouverte et claqua la porte. Je la suivis.
— Je peux peut-être traverser les portes, mais ça ne vous donne pas le droit de me les claquer au nez. C’est toujours impoli.
— Impoli ? dit-elle en se retournant vers moi si vite que je reculai involontairement d’un pas. Impoli ? Vous venez… le moment le plus important de ma carrière, une occasion unique et vous…
Elle porta la main à sa bouche. Elle fonça dans la salle de bains et se pencha par-dessus les toilettes, prise de haut-le-cœur.
— Si ça vous aide à vous sentir mieux, elle a le même effet sur moi.
Jaime pivota, les yeux lançant des éclairs. Elle se redressa de toute sa taille… qui était inférieure d’au moins douze centimètres à mon mètre quatre-vingt-deux. Très intimidant.
— Trouvez-vous un autre nécro, Eve. Qui soit assez débile pour vous laisser parler à Savannah. Et vous voulez un conseil ? Quand vous le trouverez, faites au moins l’effort de suivre le protocole. Ce que vous venez de faire, ça marchait peut-être de votre vivant, mais plus maintenant.
Ah bon, il y avait un protocole ? Et merde.
Jaime me dépassa pour entrer dans la loge. Quand je la suivis, je la trouvai en train de farfouiller dans une trousse de maquillage géante. Elle en tira un bol et quelques sachets d’herbes.
— Une mixture répulsive ? dis-je. Écoutez, Jaime, comme je sais que vous ne pratiquez pas souvent la vraie nécromancie, je vais vous confier un petit secret. Cette mixture ne marche que sur les fantômes humains. Pour bannir une créature surnaturelle, il faut un excellent nécromancien, et sans vouloir vous vexer…
Quelqu’un me bouscula par-derrière. Un impact physique qui n’aurait pas dû être possible, sachant que je me trouvais dans le monde des vivants… ce qui signifiait qu’il ne pouvait s’agir que d’un autre fantôme.
— Attention où vous marchez, ma jolie.
Je regardai par-dessus mon épaule et vis un type que je dépassais d’une quinzaine de centimètres, vêtu de demi-guêtres et d’un chapeau de paille, une mitrailleuse appuyée sur l’épaule. Il me sourit, me salua en portant la main à son chapeau et s’éloigna.
Je me trouvais sur un trottoir, en face d’un bâtiment de brique encroûté de suie aux fenêtres condamnées et avec une feuille de papier collée sur la porte. J’accrus ma vision pour lire le papier sur la porte de l’autre côté de la route. Un avis de fermeture, en accord avec le Prohibition Act de 1920.
Le Chicago du monde des esprits. Comme pour la plupart des grandes villes de l’au-delà, elle était figée en plein âge d’or et beaucoup de résidents, comme ce gangster corpulent, s’alignaient sur l’époque. Mais si je me trouvais ici, ça signifiait que Jaime m’avait réellement bannie. Et merde.
Il existait des moyens d’éviter le bannissement. Quelques mois plus tôt, Kristof avait eu besoin de l’aide d’un nécro et il était allé en trouver un qui lui devait de grands services. Le type avait commis l’erreur de croire que la mort de Kristof annulait toutes ces reconnaissances de dettes, puis l’erreur plus terrible encore d’essayer de bannir Kristof quand il s’était rappelé à son bon souvenir. Kris avait fait quelque chose qui avait neutralisé la capacité du nécro à bannir les esprits pour les mois suivants, histoire de lui rappeler qu’on ne plaisantait pas avec les Nast – même morts.
Il ne me restait donc qu’à localiser Kristof pour lui demander de l’aide. Ce qui paraissait facile… sauf la partie consistant à demander son aide. Oh, il me l’accorderait sans la moindre hésitation et sans attendre quoi que ce soit en retour. C’était bien le problème. Quand je prenais quelque chose, je donnais toujours autre chose en échange – comme ça, je ne devais aucune faveur, ne gardais aucune dette. Bien que je considère Kris comme un ami – le meilleur que je possède dans le monde des esprits – je détestais lui demander quoi que ce soit. Je lui avais déjà assez pris.
Mieux valait réessayer seule.
La loge de Jaime était vide.
— Et merde, marmonnai-je.
Il existait des moyens de localiser un nécro, mais je n’avais pas pris la peine de les apprendre. Nous étions à Chicago, fin mars. Si elle avait quitté le bâtiment, elle aurait pris son manteau, qui avait disparu tout comme son sac. Mais la valise contenant sa tenue de scène était toujours là. Je me rappelai ses haut-le-cœur sans vomissements un peu plus tôt et devinai qu’elle était montée sur scène le ventre vide. À présent, elle avait dû sortir manger un morceau.
J’envisageai de passer voir Savannah, de laisser à Jaime le temps de manger puis de revenir. Il ne s’était écoulé que quelques heures depuis ma visite précédente, mais il peut arriver beaucoup de choses à une adolescente en quelques heures. Et pourtant… eh bien, maintenant que j’avais Jaime à l’œil, je détestais m’en éloigner, même pour Savannah. J’aurais certainement le temps de passer la voir après avoir réglé cette histoire avec Jaime, en attendant que les Parques préparent Janah. Mieux valait ne pas quitter la piste pour l’instant.
Je trouvai Jaime un peu plus loin dans la même rue, assise à une terrasse de café, en train de tripoter de la salade du bout de sa fourchette.
— Moi non plus, lui dis-je, je ne trouve pas ça très appétissant.
Cette fois, elle ne sursauta pas, mais se retourna simplement pour me fusiller du regard.
— Vous savez ce qui m’échappe ? dis-je en m’installant sur la chaise qui lui faisait face. C’est qu’on puisse servir des mauvaises herbes comme des feuilles de pissenlit et s’attendre à ce que les gens paient trois fois plus cher que pour une salade ordinaire.
— Foutez-moi la paix, dit-elle sans remuer les lèvres.
— Je veux simplement vous parler.
— Et vous trouvez que c’est un bon endroit pour ça ? chuchota-t-elle. Vous savez ce que je suis en train de faire, là ? De parler toute seule.
Son regard glissa vers la table voisine où une vieille dame regardait fixement, front plissé, la pauvre femme qui faisait la conversation à une chaise vide.
— Merde. Ça, c’est un problème.
— C’est pour ça que vous n’êtes pas censée me contacter en public, dit-elle, cherchant cette fois encore à parler sans remuer les lèvres.
— Vous voulez qu’on sorte ?
— Je mange.
— On ne dirait pas.
Nouveau regard mauvais. Elle enfourna quelques feuilles dans sa bouche.
— Alors vous savez quoi ? proposai-je. Vous mangez, je parle.
Elle ouvrit la bouche pour répliquer, puis s’interrompit et se passa la main sur les yeux. Ses épaules s’affaissèrent et, quand elle retira la main, son visage affichait un épuisement qu’aucun maquillage ne pouvait cacher.
— Allez-y, murmura-t-elle.
Elle écouta, sans formuler de commentaires, une version condensée de mon histoire. Puis étouffa un rire.
— Eve Levine en mission divine. Je dois vraiment avoir ma plus belle expression de pigeon aujourd’hui.
— Croyez-moi, si j’inventais tout ça, j’aurais cherché plus plausible. Vous vous rappelez, il y a deux ans, quand Paige et Lucas se sont retrouvés dans le monde des esprits ? Vous vous êtes déjà demandé comment ils en étaient sortis ? J’ai conclu un marché. Paige était là. Appelez-la pour lui poser la question. Elle n’est pas censée en parler, mais elle confirmera.
— Oh, ne vous en faites pas, je vais le passer, ce coup de fil. Dès que j’aurai un téléphone à portée de main.
— Parfait. Faites-le, s’il vous plaît.
Son malaise s’évapora en partie, mais son regard trahissait toujours une bonne dose de prudence. Il n’y avait là rien de nouveau pour moi. J’avais passé ma vie à essayer de me bâtir une réputation d’honnête commerçante, mais quand on s’en est également bâti une dans les arts occultes, tout le monde se contrefout de votre honnêteté. Faites gicler les yeux de quelqu’un de ses orbites et vous pouvez être sûr que l’histoire va se répandre plus vite qu’une décharge électrique, mais, curieusement, la partie où la « victime » a lâché un démon sur vous s’est perdue en cours de route.
J’ouvris la bouche pour ajouter quelque chose, quand un détail attira mon attention à l’autre bout du café. Je ne suis pas facile à déconcentrer, mais c’était un spectacle à même de distraire l’esprit le plus concentré. Un homme d’une trentaine d’années qui slalomait entre les tables, la tête entre les mains – littéralement, car sa tête était tranchée. Du sang coulait de son cou pour coaguler sur le col de sa chemise de soirée. Ses intestins dépassaient d’un petit trou dans sa chemise. Tout autour de lui, les gens continuaient à manger, à parler, à rire. Ce qui ne pouvait signifier qu’une chose.
— Fantôme à dix heures, murmurai-je à Jaime. Et pas très frais.
Elle se tourna et lâcha un petit gémissement, puis s’enfonça dans son siège.
— Il est déjà venu vous voir, je suppose, lui dis-je.
L’homme s’approcha de notre table. Son regard se braqua sur moi.
— Qu’est-ce que vous regardez, fantôme ? rugit-il.
— Exactement ce que vous voulez que je regarde, répondis-je. Arrêtez les effets spéciaux. La nécro n’est pas impressionnée, et moi non plus.
— Ah bon, l’atrocité de ma mort vous offense ? Eh bien, pardonnez-moi. La prochaine fois, je m’arrangerai pour mourir de manière bien propre et nette. (Il déposa lourdement sa tête sur l’assiette de salade de Jaime.) C’est mieux comme ça ?
Les joues de Jaime blêmirent. Je levai les yeux pour fusiller le fantôme du regard… sauf que ses yeux n’étaient pas au bon endroit, ce qui gâcha quelque peu mon effet. Que je rectifiai en les baissant.
— Elle ne vous parlera pas jusqu’à ce que vous remettiez votre tête en place, dis-je.
— Je vous emm…
— Remettez-la, et tout de suite, bordel.
Il croisa les bras.
— Vous n’avez qu’à m’y obliger.
Je claquai ma paume ouverte contre son oreille. Sa tête bascula au bas de la table, roula par terre et alla s’arrêter devant un chien d’aveugle. L’animal leva le museau et ses narines se dilatèrent lorsqu’il flaira une odeur de pourriture.
— Miam, lui dis-je. Vas-y, mon grand. Prends une bouchée.
Le corps du fantôme traversa le restaurant à toute allure, zigzaguant laborieusement entre tables et clients. Près de moi, Jaime émettait des bruits étouffés, se retenant de rire. Elle articula « Merci » en silence.
Le fantôme décapité revint vers nous d’un pas lourd. Sauf qu’il n’était plus décapité, ayant apparemment décidé que sa tête serait plus en sécurité sur ses épaules. Il avait également renouvelé sa garde-robe. Il avait repris ce qui devait être son apparence de fantôme normale. Ce look de comptable sans tête était une illusion, un tour dont se servaient certains fantômes pour reprendre l’aspect de leur mort – l’état dans lequel ils se trouvaient à ce moment-là – soit pour stimuler la compassion des nécromanciens, soit pour foutre une trouille pas possible à tous les humains ayant un peu de sang de nécro.
— Voilà, vous ne vous sentez pas mieux comme ça ? demandai-je.
— Ah ! vous avez trouvé ça drôle, hein ? dit-il en avançant vers moi. C’est toujours marrant de s’en prendre à moins chanceux que vous. Quand vous en aurez fini ici, vous pourrez retourner au paradis et bien rigoler en leur racontant comment vous avez maltraité cet arpenteur.
— Un arpenteur ?
— Je suis un esprit tourmenté, dit l’homme d’une voix s’élevant comme celle d’un pasteur depuis sa chaire. Condamné à errer dans ce royaume terrestre jusqu’à ce que mon âme trouve le repos. Depuis cinq ans – cinq années interminables – je suis coincé ici, incapable d’aller vers la lumière, ne cherchant que quelques minutes d’attention de la part d’un nécromancien…
Jaime se frappa le visage contre la table en gémissant. La femme âgée de la table voisine déplaça sa chaise dans l’autre direction.
— Vous voyez comment elle me traite ? me dit l’homme. Elle pourrait me libérer, mais non, elle est trop occupée à participer à des émissions de télé, à raconter aux gens qu’elle aide les esprits tourmentés à trouver la paix. Mais quand il est question d’un véritable esprit ? Qui souffre réellement ? Qui veut simplement se venger du chauffard qui a mis fin à sa vie, laissé sa femme veuve, ses enfants orphelins…
— Vous n’avez pas d’enfants, lâcha Jaime entre ses dents.
— Parce que je suis mort avant de pouvoir !
Je me penchai vers Jaime et baissai la voix.
— Écoutez, ce type est un crétin, mais si vous l’aidiez, vous pourriez vous en débarrasser…
Elle se releva vivement et se dirigea vers la porte. Quand je la rattrapai, elle me dit tout bas :
— Demandez-lui comment il est mort.
Le fantôme, qui se trouvait juste derrière moi, répondit avant que je puisse l’interroger.
— Je m’en souviens très bien. Le dernier jour de ma vie. J’étais heureux, en paix avec le monde…
— Il n’y a pas d’oscar de la meilleure scène de mort, l’interrompis-je. Les faits.
— Je rentrais chez moi en voiture après une réunion d’affaires, commença-t-il.
— Qui se tenait dans un bar, ajouta Jaime alors qu’elle tournait vers une ruelle.
— C’était après les heures de bureau, dit-il. Il n’y a rien de mal à boire un verre ou deux.
— Ou cinq ou six. (Elle s’arrêta, désormais hors de portée de l’ouïe des passants, et se tourna vers moi.) Le médecin légiste a constaté qu’il avait au moins deux grammes d’alcool dans le sang.
— Bon, d’accord, j’étais saoul, répondit l’homme. Mais le problème n’était pas là. Le problème, c’était la gamine de dix-sept ans qui faisait une virée dans une voiture volée sur ma file !
— C’était vous qui étiez dans sa file, dit Jaime. Il y a un rapport de police pour le prouver. Qui vous a tué ? Le crétin qui s’est mis au volant de sa décapotable, tellement torché qu’il n’arrivait même pas à boucler sa ceinture. La gamine que vous avez percutée va devoir porter des attelles jusqu’à la fin de ses jours. Et vous voulez que je vous aide à vous venger d’elle ?
Je me retournai vers l’homme, les yeux plissés. Il croisa mon regard, recula lentement, puis fit demi-tour et s’éloigna d’un pas vif.
— Ne croyez pas en rester là ! cria-t-il par-dessus son épaule. Je reviendrai. Et la prochaine fois, vous n’aurez pas cette salope de fantôme pour jouer les gardes du corps.
— Vous voulez mon aide, Eve ? dit Jaime. Assurez-vous que celui-là ne revienne pas. Jamais.
Je souris.
— Avec plaisir.